article paru dans le magazine littéraire de BSC News.


MALCOLM DE CHAZAL : GÉNIE CRÉATEUR

« nous n’accordons une âme aux gens que lorsqu’ils n’ont plus de corps »

 

par albert champeau

 

 

Malcolm de Chazal, ce n’est pas rien ! Il s’est vraiment passé quelque chose de grand, là-bas tout là-bas à 10.000 km, à l’Ile Maurice francophone, au 20ème siècle, au confluent de la poésie et de l’occultisme...

 

Même les intellectuels du moment ont reconnu et salué cet événement [1]. Jean Paulhan le présentera comme une découverte majeure et géniale, André Breton dira que c’est le plus grand événement de nos jours. Imaginez en littérature quelque chose qui ressemblerait à la fois à Antonin Artaud, à La Rochefoucauld, à Sacha Guitry, et au Petit Prince de St Exupéry, un grand écart qui embrasserait la folie dirigée, l’acuité intellectuelle, la poésie de l’enfance et l’innocence conservée ; en peinture, on serait écartelé entre le Douanier Rousseau, Van Gogh, et la maternelle au zoo ; quant à l’esprit de la chose, il tiendrait son ascendance mystique de son aïeul du XVIIIème, le marquis François de Chazal de La Genesté, fondateur de la Rose-Croix, disciple de Swedenborg et du Comte de St Germain. Et son propre génie, sui generis, car selon Chazal, son génie unique et sans pareil ne serait pas un legs familial...

 

Et là, on est dans l’incommensurable. Prophète, mystique, philosophe, chroniqueur, peintre, poète, visionnaire quasi inspiré, Malcolm de Chazal, auteur d’une œuvre illuminée, était un être légendaire, inclassable, intraitable, invivable, narcissique, mégalomane, très cultivé, extrêmement anti-social, provocateur, doté d’une puissante personnalité à l’humour dévastateur, un vrai phénomène. Multiple, mais totalement unifié. Il vécut comme un extraterrestre à l’Île Maurice [2], dans un style unique et hors du commun. Ingénieur sucrier formé aux Etats Unis, il préféra sa liberté intellectuelle et spirituelle à l’argent et à la vie bourgeoise, occupant un petit emploi dans l’administration des postes et de l’électricité où il n’avait rien à faire, et consacra sa vie entière à son Oeuvre, en proie à son démon de création, tel un météore poétique tombé du ciel austral.

 

Sa vision personnelle du monde : l’Unisme. Une sorte d’unité ontologique qui embrasserait la cosmogonie, l’anthropologie, la mythologie et la théologie. Il en développera une vision poétique et métaphysique d’un monde où tout est animé, tout est humanisation, tout est en correspondance. Son message, réveiller l’humanité, tel un prophète de type biblique indiquant le chemin de l’Eden. Pourtant, il restera incompris de ses compatriotes et l’objet de toutes les passions, passant pour un illuminé farfelu, un excentrique. Etant un génie, et le sachant, Malcolm de Chazal était à la fois un homme rempli de joies ineffables, mais aussi un homme terriblement déçu, l’homme le plus malheureux de la terre parce qu’il avait le sentiment de prêcher dans le désert.

 

Malcolm de Chazal s’est mis à peindre sur le tard [3] : un art frontal qui pose les mêmes interrogations sur les perceptions et dont les couleurs sont des éléments essentiels d’entrée dans le visible et l’invisible. Il fut aussi, dans ce domaine, un artiste hors norme qui révolutionna la peinture par une nouvelle approche apparemment brute et enfantine, complètement fraîche et iconoclaste, au langage immédiat et plein d’humour.

 

Essentiellement connu pour Sens Plastique et La Vie Filtrée, publiés chez Gallimard [4], Malcolm de Chazal a écrit plus d’une cinquantaine de livres, des milliers d’aphorismes [5], des centaines de chroniques dans la presse mauricienne, des poèmes, des contes, des essais, et réalisé plus de 2.000 gouaches et peintures, comme une génération spontanée. Un monument que tout le monde découvrira à sa juste valeur avec le temps, puisque intemporel, révolutionnaire, et bien sûr génial.

 

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[1] André Gide, René Guénon, Francis Ponge, André Masson, Georges Bataille, Georges Braque, André Breton, Jean Paulhan, Léopold Sédar Senghor, Merleau-Ponty, Georges Duhamel, Jacques de Lacretelle, Camille Bourniquel…

[2] 12 septembre 1902- 1er octobre 1981

[3] depuis 1960, a exposé à Paris, Grenoble, Maurice, Londres, Dakar.

[4] En 1948 et 1949.

[5] « L’écume est la plus parfaite des nageuses » « Le mot Dieu est le plus parfait des abrégés » « La poésie n’est pas autre chose pour moi que l’art de décrire l’invisible, avec des images d’ange » « Les femmes aiment être battues, mais elles exigent qu’on choisisse l’endroit » « Le rire est le grelot du sexe»